PIERRE BOURGAULT, 1934-2003 - L'ALLUMEUR DE CONSCIENCES |
Pierre Bourgault, 1934-2003 - L'allumeur de consciences
L'homme suscitait le respect et l'admiration de ses
amis comme de ses adversaires politiques
Par Kathleen Lévesque
Le DEvoir Édition du mardi 17 juin 2003
Leader politique sans jamais avoir été élu, Pierre Bourgault a eu une trajectoire singulière qui soulève le respect et l'admiration.
À l'annonce hier après-midi du décès de cet homme engagé, les hommages se
sont multipliés. Tous ont souligné la passion et la grande rigueur intellectuelle de Pierre Bourgault. «C'est le dernier grand leader politique des années 1960 qui s'éteint. Il a marqué la politique du Québec avec le RIN [Rassemblement pour l'indépendance du Québec] par la démocratisation de la vie publique», a souligné Michel Martin, scénariste du documentaire Le RIN.
Dans les années 1960, Pierre Bourgault faisait figure de révolutionnaire avec
son appel à l'indépendance. Marginal, il était condamné par les bien-pensants
de l'époque. Et malgré tout, Pierre Bourgault multipliait ses interventions
publiques et les assemblées de cuisine.
C'est notamment auprès de son ami et colocataire de l'époque, Jean Décarie,
qu'il testait ses discours. «On en parlait toute la nuit. Il fallait inventer
l'indépendance. On a vécu le RIN dans l'enthousiasme», se souvient avec plaisir
M. Décarie, qui est l'un des rédacteurs du programme politique du RIN pour les
élections de 1966.
Le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Jean Dorion, qui
était en 1964 délégué au congrès du RIN où Pierre Bourgault est devenu chef
du parti, a souligné la grande vivacité d'esprit de M. Bourgault. «Beaucoup
d'autres dirigeants indépendantistes au Québec ont été portés par une vague.
Lui, il a contribué à créer la vague. [...] Il a laissé une contribution énorme à la décolonisation intellectuelle du Québec», a affirmé M. Dorion.
Un an avant de prendre la voie du Front de libération du Québec, Paul Rose se souvient d'avoir reçu à la résidence de ses parents à Ville Jacques-Cartier (Longueuil) Pierre Bourgault. C'était «un allumeur, un mobilisateur», se souvient Paul Rose aujourd'hui à la CSN. «Dans une époque du culte de l'ambiguïté, le courage de Pierre Bourgault, la clarté de ses opinions et la cohérence de ses choix vont nous manquer au Québec», a-t-il ajouté.
En montant dans le train en marche du RIN en 1961, Pierre Bourgault lui a insufflé un dynamisme qui allait bouleverser la politique canadienne-française comme on le disait à l'époque. Jusqu'en 1968, avec à sa tête Pierre Bourgault, le RIN a brandi son projet d'indépendance qui demeure toujours ancré.
Puis le mouvement politique devenu parti se saborde au profit du Parti québécois de René Lévesque. Mais les deux hommes étaient aux antipodes. «Il y avait une incompatibilité profonde. Ils ne se sont jamais entendus ni compris. On peut même dire qu'ils ne se sont jamais rencontrés. [...] Bourgault ne faisait aucune concession et Lévesque avait peur des débordements que pouvait entraîner Bourgault», a raconté Michel Martin.
Le chef du PQ, Bernard Landry, se souvient également des frictions entre les deux hommes mais il a surtout salué les convictions profondes de Pierre Bourgault et son sens critique. «J'ai un immense chagrin parce qu'il a toujours été pour moi, depuis une trentaine d'années, un interlocuteur, un conseiller et, dans bien des domaines, un maître. Au cours des dernières années, il ne s'est pas passé de mois où nous nous soyons parlé au téléphone à plusieurs reprises. Il avait une connaissance profonde du Québec. Il avait
beaucoup d'idéal», a affirmé M. Landry.
Hier, les souvenirs de passion politique partagée et débattue affluaient. Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a rappelé que le «sans-gêne et les coups de gueule [du commentateur Bourgault] forçaient la réflexion et imposaient le respect». Le président Action démocratique du Québec et professeur de science politique à l'Université Laval, Guy Laforêt, a mis en évidence les talents de communicateurs de Pierre Bourgault. «Ç'a été un tribun exceptionnel. Quand on entend les discours de Pierre Bourgault des années
60, il y a un dynamisme, une force, une qualité d'élocution et de la langue. Il a sans doute été un de nos plus grands tribuns de l'ensemble du XXe siècle, dans la tradition de Papineau et Henri Bourassa», a-t-il soutenu.
«Je suis devenu indépendantiste en écoutant les discours de Bourgault qui perçait le mur des médias. Il a été l'éveilleur de conscience du Québec moderne», a fait valoir Gilles Rhéaume, président du Mouvement souverainiste du Québec.
Ce dernier a souligné également l'estime qui unissait Pierre Bourgault et l'ancien premier ministre Robert Bourassa. Même s'ils n'avaient pas le même auditoire, «ils partageaient la même sensibilité pour le Québec», selon M. Rhéaume. Michel Martin a renchéri : «Bourgault a traversé à la fin du RIN une période très noire. Personne ne voulait l'engager. Il a reçu de l'aide sociale pendant quelque temps. Il y a quelques personnes qui l'ont aidé, dont Robert Bourassa qui lui fournissait des contrats de traduction», a-t-il dit.
Fougueux, Pierre Bourgault n'a laissé personne indifférent. Hier, le premier ministre Jean Charest a signalé les grandes qualités de communicateur de M. Bourgault. Le premier ministre du Canada, Jean Chrétien, a également exprimé ses sympathies. «Bien que nous ayons eu des différends sur la question de la place du Québec au sein du Canada, je tiens à saluer respectueusement sa contribution au débat public, contribution marquée notamment par la fidélité à ses idées», a-t-il déclaré M. Chrétien.
Autant ses partisans que ses adversaires ont souligné hier à quel point Pierre Bourgault avait influencé l'évolution politique du Québec.
Avec la collaboration de Tommy Chouinard et Robert Dutrisac |
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